Nous vous invitons à faire un bond dans le temps et à découvrir les souvenirs de Michel Belikian, ancien photographe navigant de l’IGN, qui nous conte les péripéties de sa carrière…
Des avions et des hommes, Première partie
« On peut entrer à l’IGN parfois par un heureux hasard, certes, mais on y reste certainement par passion. Par contre on ne devient pas pilote d’avion par hasard mais plutôt par passion, une autre certitude.Les mots qui reviennent toujours dans mes pensées, quant à l’IGN, sont « Aventure » et « Passion ».
Devenir pilote : du rêve à la réalité
Je suis né en Arménie Soviétique et je suis arrivé en France en 1960, à l’âge de 6 ans, en effectuant les vols successifs Erevan-Moscou-Vilnius-Prague-Bruxelles-Le Bourget dans la cabine de pilotage des avions Tupolev 104 de l’Aeroflot, d’un Ilyushin de la Ceskoslovenska et dans celle d’une Caravelle de la Sabena. J’étais le seul petit garçon à bord de ces avions. Les pilotes étaient attentionnés à mon égard et tous ces cadrans des tableaux de bord m’impressionnaient.
En Arménie, je parlais l’arménien de la rue. A l’école c’est le russe qui était enseigné. A la maison, ma mère pestait contre le régime soviétique, en français pour ne pas être écoutée par les voisins avec qui nous partagions un appartement de 50 m2. Ils l’auraient dénoncée et elle aurait été déportée en Sibérie comme tant d’autres à cette époque.
Plus tard, alors que j’étais encore à l’école primaire à Versailles, je m’escrimais à comprendre l’anglais en lisant les revues aéronautiques que mon père récupérait chaque semaine dans les corbeilles à papier du bureau d’études où il travaillait comme chauffeur. Je l’accompagnais souvent le jeudi sur les terrains d’aviation où les ingénieurs de la société procédaient à des essais de vol de planeurs. Lui, il tractait, avec sa camionnette 2 cv Citröen, les planeurs qui s’étaient vachés en bout de piste.
Je rêvais alors de devenir pilote !
Malheureusement, je dus interrompre mes études secondaires suite à une grave maladie virale qui me cloua au lit pendant toute l’année de ma seconde. J’avais déjà redoublé le courspréparatoire en arrivant en France en cours d’année scolaire. Il n’était donc pas question de redoubler la seconde. Je tentai alors le concours d’entrée à l’école de photographie des Gobelins à Paris. J’en sortisau bout de 3 ans avec un diplôme de photographe.
Pendant cette nouvelle scolarité, je suivis des cours de russe au Grand Palais pour parfaire cette langue qui me tenait à cœur. Mon idée était de retourner en URSS pour réaliser des reportages photographiques derrière le rideau de fer.
Puis, au retour du Service Militaire, il fallut que je trouve un travail rapidement pour assurer le quotidien et, en février 1976, j’intégrai le laboratoire photographique du prestigieux Institut Géographique National de Saint Mandé. Je réalisai alors des reportages photo pour illustrer les articles d’éminents ingénieurs et chercheurs de l’IGN, ou pour illustrer les fameuses « Cartes d’Etat Major » au 1/25 000. Entre temps je tirai des photographies aériennes issues des missions outre mer sur plaques de verre 18×18 cm en noir et blanc de la photothèque et… je commençais à rêver!
Un an après, j’obtins ma mutation au Laboratoire du Service des Activités Aériennes à Creil (Oise).
L’année 1977 fut intense. En effet, étant affecté à la « production », je devais assurer le tirage quotidien de centaines de photographies en noir et blanc ou en couleur. Et à chaque fois que j’entendais un B17 partir en vol avec ses quatre moteurs vrombissants, c’était plus fort que moi, j’arrêtais mon travail pour aller l’admirer pendant des minutes entières jusqu’à son envol. Le soir je restais au laboratoire pour rattraper le temps perdu et assurer la production journalière qu’on nous demandait de fournir. La nuit, à la maison, je potassais les cours de navigation, de météo, de mécanique et d’électricité pour présenter l’examen de « Photographe Navigant » au Centre de formation du Personnel Navigant de l’Aviation Civile de l’ENAC à Orly.
Les premiers vols
Enfin, en 1978, mon nouveau diplôme en poche, je mis les pieds dans un B17 pour la première fois pour commencer mon apprentissage pratique sur le territoire métropolitain, sous l’œil averti d’un vieil instructeur.
Mon sac de vol en toile de jute kaki était constitué d’une combinaison de vol, de bottes fourrées, d’une veste en cuir, d’un casque écouteur, d’un masque à oxygène, d’un microphone, d’un fer à souder, d’un Métrix, de quelques outils et d’une liasse de schémas électriques des caméras embarquées. Il n’était pas question de faire demi tour à cause d’une panne de caméra.
Nous montions à 30 000 pieds pour effectuer des prises de vues au 1/100 000. Le format des négatifs de 24 x 24 cm et le champ angulaire de 120° des objectifs de focale 88 mm permettaient alors une couverture latérale du terrain de 23 km. La température extérieure avoisinait les -40°C en été et le chauffage de la cabine était utilisé principalement pour réchauffer les caméras. Les vols duraient seulement 10 heures, le temps à l’avion de consumer ses 10 000 litres d’essence et à l’équipage de vider toutes les bouteilles d’oxygène stockées à l’arrière de l’avion dans le poste de l’ex-mitrailleur de queue du bombardier.
L’équipage était constitué d’un pilote Commandant de Bord, d’un Navigateur, d’un Mécanicien Navigant et d’un Photographe Navigant. Le poste du Radio Navigant était vacant depuis déjà quelques années car les transmissions en morse étaient remplacées par la radiophonie. Le morse fut tout de même utilisé sur le territoire soviétique pendant encore quelques années.
Au printemps de l’année 1979, j’effectuais ma première mission en Libye en solo. L’aventure IGN commençait vraiment. Elle aura duré 35 ans !
Une histoire de transmission
La passion pour ce travail me fut transmise par les anciens, par ceux là mêmes qui avaient créé le GEP, « Groupe d’Escadrille Photographique » de l’IGN avant qu’il ne s’appelât par la suite le « Service des Activités Aériennes ». Ils étaient pour la plupart d’anciens militaires de l’Aéronavale. C’est eux qui m’encouragèrent à devenir pilote. Plus tard, lorsque nous étions en mission quelque part en brousse, ils m’obligeaient à potasser les cours théoriques du brevet de pilote de ligne. Ils avaient décelé en moi une passion pour l’aviation.
C’est l’histoire de ce service et de ses hommes qui mérite d’être narrée aujourd’hui.
On doit la première photographie aérienne à un français, Félix Tournachon, dit Nadar, qui la réalisa en 1858 à bord d’un ballon captif au dessus du Petit Clamart, au sud de Paris.
Mais c’est seulement pendant la première guerre mondiale que des caméras d’observation furent embarquées à bord de petits avions de reconnaissance qui s’aventuraient derrière les lignes ennemies.
Entre les deux guerres, l’armée française créa le SGA « Service Géographique des Armées » qui fut déplacé en Zone Libre, à Pau, dès le début de la seconde guerre mondiale pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi. Il devint l’Institut Géographique National avant d’être à nouveau déplacé en région parisienne à la fin de la guerre. Les principaux services de production et de terrain s’installèrent à Saint Mandé et, « l’Escadrille », sur la base aérienne de Creil.
La vallée de l’Oise était réputée pour ses productions sidérurgiques, chimiques et de construction mécanique d’avant guerre. Les Allemands s’empressèrent de réquisitionner ces usines pour y fabriquer de l’armement. A la fin de la guerre, une base de lancement de V2 avait même été installée dans les carrières souterraines de Saint Leu d’Esserent tout près de Creil. L’aviation allemande construisit un aérodrome sur le plateau de Creil d’où les avions de chasse « Messerschmitt 109 » et « Focke-Wulf » décollaient pour défendre les usines de la vallée, régulièrement bombardées par les avions alliés. Dans cette vallée de l’Oise, il arrive encore aujourd’hui qu’on déterre des obus ou des bombes non explosées lors de chantiers de travaux publics ou de constructions immobilières. Ces fameux Messerschmitt étaient parqués sous les arbres centenaires de la forêt d’Aumont en Halatte, au Sud de la piste actuelle. Les bombardiers alliés ne pouvaient pas les repérer.
Lorsque le « GEP » se déplaça à Creil en 1947, les installations étaient très rudimentaires. Un bâtiment pour le Commandement, les Opérations et les labos photos. Deux hangars en demi-lune et en tôle ondulée, laissés par les Allemands, permettaient d’abriter une petite partie des avions. Le hangar de maintenance actuel ne fut construit qu’en 1950 !
Les valeureux mécaniciens effectuaient les révisions et les réparations en plein air, été comme hiver, sous la pluie ou sous la neige. Les avions empruntaient une petite route communale pour atteindre la piste de décollage. Les voitures devaient se pousser lorsqu’elles croisaient les avions de l’IGN !
L’escadrille était constituée de quatre Léo 453 et de cinq Léo 455. Ces anciens bombardiers convertis en avions photo furent réformés en 1955. Six autres avions Siebel NC 701 de conception allemande restèrent en service jusqu’en 1959.
Flying Fortress
Ils furent progressivement remplacés, par 14 bombardiers Boeing 17 connus pendant la guerre sous l’appellation « Flying Fortress ». On appelait ces B17 ainsi car l’avion était protégé par plusieurs mitrailleurs dont un à l’avant de l’appareil dans une tourelle sous le poste du navigateur, un autre juste derrière les pilotes au-dessus de la soute à bombes, également dans une tourelle, deux autres aux sabords arrière, l’un à bâbord et l’autre à tribord, un autre dans une tourelle sous le ventre de l’avion et enfin un dernier à la queue de l’avion. Cet appareil mythique fut considéré longtemps comme le fleuron de l’escadrille de l’IGN.
Avec ses 4 moteurs constitués de 9 cylindres en étoile « Wright Cyclone », cet avion de 30 tonnes pouvait emporter 3 tonnes de matériel photographique à 10 000 m et voler 16 heures avec ses réservoirs supplémentaires. Les caméras photographiques SOM Poivilliers étaient constituées d’une chambre sur laquelle était fixé l’objectif et d’un chargeur amovible de plaques sensibles en verre, de format 18×18 cm. Chaque chargeur comportait 90 plaques et pesait 70 kg. Ils étaient stockés dans la soute à bombe aménagée à cet effet, à l’emplanture des ailes, derrière le poste de pilotage.
Les deux caméras, l’une active et l’autre en attente pour permettre le changement du chargeur à plaques pendant la prise de vues, étaient montées sur des tourelles amorties qui permettaient de régler la verticalité de celles-ci à l’aide d’un niveau à bulle. Ces tourelles, communément appelées « suspension » permettaient une rotation à gauche ou à droite de + ou – 30° pour afficher un angle de dérive de l’avion afin que toutes les photos d’un même axe de prise de vue soient parfaitement alignées. Cet angle de dérive, fondamental pour le suivi d’une trajectoire précise, était déterminé et contrôlé en permanence par le photographe à l’aide d’un viseur cinémodérivomètre et confirmée par le navigateur qui disposait d’un équipement presque similaire à l’avant de l’avion. Ce viseur était constitué d’un intervallomètre électromécanique et optique que l’on réglait en fonction de l’altitude de vol, de la vitesse apparente de défilement du sol et du recouvrement longitudinal des photos souhaité pour conserver une vision stéréoscopique du terrain indispensable au tracé des courbes de niveau par les dessinateurs cartographes. Un vernier gradué en valeurs trigonométriques permettait d’afficher la focale utilisée et son angle de champ.
Vous pouvez aisément imaginer l’accoutrement du photographe engoncé dans sa moumoute, harnaché par son masque à oxygène, son micro à la main pour communiquer avec l’équipage et ce pendant des heures interminables avec le bruit assourdissant des moteurs ! Mais quelle ambiance, quelle camaraderie, quelle solidarité ! C’est inoubliable.
Le dernier B17 était encore en service à l’IGN en 1989 !
La série des LeO et les autres
Ces années passées à l’IGN sont jonchées d’histoires et d’anecdotes, amusantes pour certaines et tragiques pour d’autres.
– Le LeO 453, un avion bombardier construit en France par la société Lioré et Olivier, ne brillait pas par ses qualités de vol. Deux d’entre eux furent détruits dans un accident. Mon vieil ami Jean Pierre, aujourd’hui âgé de 95 ans entra à l’IGN en 1950 comme Radio Navigant. Il fut aussitôt affecté sur l’un de ces LeO pour partir en renfort en Guinée à un autre LeO en mission sur place. Le voyage étant assez long, l’avion avait atteint, à l’arrivée, un nombre d’heures de vol qui nécessita une révision mécanique suivi d’un vol d’essai. L’équipage présent à Conakry depuis quelques mois, n’ayant pas beaucoup volé à cause des conditions météo peu favorables, proposa d’effectuer ce vol d’essai à la place de celui qui venait d’arriver. Peu après le décollage, l’avion étant encore dans le circuit de piste, à basse altitude, lorsque l’un de ses deux moteurs s’arrêta. L’avion, peu contrôlable dans cette configuration à cause de sa double dérive sous dimensionnée tomba dans la lagune et l’équipage disparut. A la suite de cet accident tragique, une modification de la dérive et de type de moteur donnèrent naissance à la version 455. Aucun de ces cinq avions ne subit d’accident. Jean Pierre fut transformé en Navigateur à son retour en France et fit une brillante carrière à l’IGN jusqu’en 1985.
– un deuxième LeO 453, en partance pour une mission en Indochine, fut détruit à l’atterrissage à Vinon sur Verdon en 1952. L’équipage fut sain et sauf.
– un troisième LeO 453 également endommagé à plusieurs reprises au décollage et à l’atterrissage sera abandonné sur l’aérodrome de La Tontouta en Nouvelle Calédonie en 1955.
– les Siebel NC 701 ne connurent pas non plus les heures de gloire des Boeing B17.
Sur les 6 appareils, le premier fut détruit à Vichy en octobre 1946. L’équipage en sortit indemne. Le deuxième fut détruit un an après à l’atterrissage à Saint Etienne. Les six membres d’équipage périrent dans cet accident.
– un troisième appareil fut démonté à Creil, mis en caisse puis envoyé aux Antilles par bateau pour y effectuer une mission avec succès. Il revint à Creil dans les mêmes conditions qu’à l’aller.
Contrairement aux LeO, ces avions opérèrent principalement en France, mais aussi en Afrique du Nord.
En 1954, la guerre d’Indochine venait de prendre fin. Mon Ami Navigateur alias « El Magnifico » quitta l’armée et vint frapper à la porte de l’IGN pour une embauche. Le patron de l’époque, au cours de cet entretien d’embauche, lui dit : « …Ah, vous venez d’Indochine? Ca tombe bien, on a une mission là-bas pour vous… ». Il y retourna pour huit mois avec un LeO 455 !
Il y eut plusieurs accidents sans gravité, ces années là en Indochine.
Un LeO 455 sortit de piste à Saïgon à cause d’une avarie moteur.
Un B17 qui glissa sur une piste en tôle ondulée à Hanoï et finit dans une rizière en bout de piste.
A cette époque des débuts des activités aériennes de l’IGN, le personnel était recruté principalement dans l’armée. La moyenne d’âge de ces jeunes aviateurs avoisinait les 25 ans. Le Bidel avait même été le plus jeune pilote de chasse de l’armée de l’air française ! Il était de coutume, dans un esprit de camaraderie, de donner des surnoms à la plupart. Cette tradition était encore existante dans les années 80. On trouvait aussi certains surnoms chez les gens de terrain.
– « P’tit paltot » était chef de la maintenance. Il fut nommé ainsi après avoir survécu au crash du Siebel à Vichy. Sa veste en pied de poule avait brulé dans l’accident et avait été réduite de moitié.
– Roger entra à l’IGN en 1947, à l’âge de 16 ans. Il était alors le plus jeune apprenti mécanicien. On le surnomma « le Young ». Il garda ce surnom jusqu’à la retraite !
– Lorsque « Milou » entra tout jeune à l’IGN comme apprenti mécanicien, il suivait, comme un petit chien, son maître de formation Martin qui portait le surnom de « TinTin ».
– Gérard, Géographe passionné de marine, a construit lui-même son voilier sur lequel il navigue encore en Bretagne. On l’appelait tout naturellement « l’Amiral ».
– « Le Grillon », Navigateur, passait son temps à remplir des grilles de mots croisés.
– « El magnifico », Navigateur, avait rapporté ce surnom d’une mission au Chili. Il brillait par sa prestance. Il avait de la classe, comme on dit !
J’en ai connu plein d’autres : « Dédé la Caille » Chef du SAA, « CuiCui » Chef du SAA, « Nadette » la cantinière, « Le Baron » Navigateur, le « Stroumpf » Pilote, « QuinQuin » Mécanicien, « Speedy » Pilote, « Le Bidel » Chef-Pilote.
Puis, Babar, NanNan, Pinky, Biquet, Job, Seph, PéPé, ZaZa, KoKo, La Drouille, ClauClau, Le Chinois, DuDu, Momo, NoïNoï, KiKi, FaFa pour ne citer qu’eux…
– A Saint Mandé on me surnommait le « Bolchévik », remplacé par « Bébel » dès mon arrivée à Creil.
***
Dès 1947, l’IGN s’équipa de quatre Boeing B17 « Super fortress » pour compléter la flotte de LeO tant il y avait de territoires français à couvrir en Afrique, au Moyen Orient, en Asie, aux Antilles et dans le Pacifique.
Pour mémoire, en 1960, 60% des couvertures photographiques mondiales étaient réalisées par les avions de l’IGN !
Lorsque l’IGN acquit ces avions mythiques, plus d’une centaine de moteurs, d’accessoires (démarreurs, alternateurs, carburateurs), de gouvernes et d’équipements divers (trains d’atterrissage) vinrent compléter le parc aérien de Creil.
Sur ces quatre premiers B17, l’un deux immatriculé F-BEEA sur lequel je fis mes armes, vola jusqu’en 1989 !
Un autre B17 fut remis au musée de l’air au Bourget en 1976. Je participai alors au vol de convoyage de Creil au Bourget pour couvrir l’événement. C’est la première fois que je montais dans un avion de l’IGN et, de surcroit, dans un B17. Au Bourget, une réception en grand pompe fut organisée et je fis la connaissance de Madame Fontaine, la première hôtesse de l’Air française. Elle avait volé sur avion biplan Farman Goliath à ses débuts dans les années 20 !
Un de ces quatre B17 s’écrasa à Yaoundé, au Cameroun, en 1949, non loin du mont Fébé, à cause du mauvais temps. Les moyens de radionavigation étaient inexistants. L’équipage composé de cinq personnes périt. Une stèle avait été érigée à l’endroit de l’accident et je m’y étais rendu en 1982 pour déposer des fleurs avec mon vieux copain mécanicien dit « Le Young ». Nous avions eu beaucoup de mal à la retrouver. Depuis, envahie par la végétation, cette stèle a totalement disparu.
De 1949 à 1955, neuf autres B17 furent acquis.
L’un d’eux fut détruit à Niamey, au Niger, en 1950, juste un an après son arrivée à Creil ! Sur les six membres d’équipage, seuls deux personnes en rescapèrent.
Les B17 et les à côtés des missions de photogrammétrie
Après guerre, seuls les B17 de l’IGN pouvaient monter à une telle altitude. Au décollage de Creil, face à l’ouest, l’avion montait le temps de contourner Paris et virait à gauche en mettant le cap direct sur Tamanrasset. Une fois l’altitude de croisière atteinte, l’équipage tirait les rideaux de toile verte pour se protéger du soleil le cas échéant puis…. »tapait le carton » ou dormait à tour de rôle. Le « Grillon » remplissait ses grilles de mots croisés. Le photographe faisait cuire des œufs sur une plaque électrique alimentée par le circuit 28 volts de l’avion. Le café coulait à flot et le vin rouge venait agrémenter les repas.
Outre les missions de photogrammétrie dont c’était l’activité principale, ces avions furent aussi utilisés pour tourner des films de cinéma, pour des meetings aériens, des salons aéronautiques ou encore lors de défilé du 14 juillet au-dessus des Champs Elysées .
On les retrouve également aux quatre coins du monde lors de missions scientifiques pour le compte du CNES, du CNRS, du BRGM, du CNET, du GDTA, de l’INAG, de l’IFP, de l’IPG et de Météo-France. Ils effectuent alors des relevés de terrain (télédétection, radar latéral, magnétométrie, recherche atmosphérique, scanner, laser, thermographie, profils de terrain, étude des aurores boréales au Pôle Nord, recherche des têtes de fusée en mer, après lancement des satellites à Kourou).
On doit toutes ces activités variées grâce aux performances de cet avion (altitude, vitesse variable, autonomie) et à sa capacité d’adaptation et de transformation de la cellule non pressurisée, selon le type de mission souhaité.
Du Pôle Nord à l’Afrique du Sud puis du continent américain au Pacifique, à l’exception des territoires soviétiques et chinois, ces avions de l’IGN auront sillonné tous les ciels pendant de nombreuses années !
de 1978 à 1986, je participais tous les ans aux campagnes de « Simulation SPOT » pour le compte du CNES. Il s’agissait de mettre au point les futurs capteurs numériques multi-spectraux embarqués sur les satellites et aussi de fournir des images à exploiter pour les laboratoires de traitement de post-données. Les données enregistrées étaient comparées au photographies argentiques réalisées simultanément par l’IGN. Ces missions se déroulaient en grande partie sur le territoire français et débordaient parfois sur les territoires voisins.
Alors que nous étions en mission à Bordeaux Mérignac, pour sillonner le Sud Ouest de la France, le personnel de l’aéroport venait régulièrement visiter notre B17. Un jour, un contrôleur de la tour, fana des vieux avions, nous demanda expressément s’il pouvait nous accompagner lors d’un vol. Le lendemain nous l’accueillions à bord et nous partîmes travailler sur les Pyrénées. En fin de journée, un vent marin apporta une couche épaisse de stratus bas et de brouillard qui nous empêcha d’atterrir à Mérignac. Il fallu donc se dérouter sur Toulouse Blagnac et nous y passâmes la nuit. Le contrôleur qui nous accompagnait eut le plus grand mal à justifier auprès de son épouse son absence du domicile conjugal. Elle l’attendit le lendemain, toute la journée à Mérignac et, lorsque le B17 atterrit en fin d’après-midi, elle dût admettre que son mari était bien à bord…
Je me souviens d’une de ces missions à Amsterdam, en 1979. Pour s’y rendre depuis Creil, nous avions effectué cette mise en place en faisant un passage à basse altitude au-dessus de chaque aérodrome situé sur le trajet, à la demande des contrôleurs aériens qui ne demandaient qu’à voir cet avion mythique qui volait encore à la fin des années 70. Les contrôleurs se téléphonaient entre eux pour annoncer le survol d’un B17 et chaque contrôleur nous appelait par radio pour nous demander de faire un passage à basse altitude au-dessus de leur aérodrome respectif. La trajectoire normale de tout avion est de monter, de suivre une trajectoire rectiligne et de descendre à destination. La notre, cette fois-ci, avait l’allure d’une sinusoïdale sur le plan vertical et en zigzag un peu anarchique sur le plan horizontal !
Je ne peux pas oublier l’un de mes premiers vols solo en carto, en 1978, à bord du B17. A l’époque, les avions étaient parqués sur la grande prairie, dans l’herbe, devant les bâtiments des opérations. Le gardien, alias « La Drouille », un ancien un peu handicapé pour avoir sauté sur une mine pendant la guerre, avait un petit chien Fox terrier dont j’ai oublié le nom. Celui-ci avait pour habitude de faire le tour des avions tous les matins, alors que chaque équipage préparait l’avion sur lequel il était affecté, pour la journée ou pour un départ en rotation quelque part en France. Au passage, ce petit chien glanait une caresse avant de passer à l’avion d’à côté.
Les B17 étaient dotés d’un train d’atterrissage dit « classique », c’est à dire que la roulette directive était située à l’arrière de l’appareil et non à l’avant comme sur la plupart des avions modernes. De ce fait, au parking, l’avion était posé sur la queue et l’accès par la porte arrière était bas et aisé. On montait dans l’avion par la force des bras en s’agrippant au montant supérieur de l’encadrement de la porte. Pour le chien, il suffisait de sauter dans l’avion par cet accès.
Ce jour là, le chien vint s’assoir auprès de moi alors que je préparais mes caméras, je le caressai comme à l’accoutumée. Il ne voulait plus partir. Qu’à cela ne tienne, on partait pour la journée, on l’aurait débarqué le soir en rentrant de vol.
Peu avant le départ, le Commandant de bord, alias « le Schtroumpf », fit une annonce par radio à tout l’équipage, demandant si tout le monde était prêt. Je reçus alors l’ordre de fermer la porte arrière et nous entamâmes le roulage jusqu’à la piste de décollage. Le chien était toujours près de moi et il raffolait de mes caresses.
L’avion prit son envol et dès que mes caméras étaient prêtes pour la mission, alors que nous passions l’altitude de 1000 mètres, en montée, j’allai voir mes collègues au poste de pilotage, avec le chien sous mon bras.
Le pilote se tourna vers moi un court instant et je le vis devenir tout rouge. Jamais de ma vie je n’ai vu un collègue aussi en colère après moi que ce jour là ! Et de l’entendre : « …qu’est-ce que tu fous avec ce chien, t’es pas bien, on passe à l’oxygène dans cinq minutes, il n’est pas question de faire demi-tour… ». Je venais de réaliser ma bêtise de débutant. Je m’empressai d’adapter un masque à oxygène de fortune sur la gueule du chien, tout en enfilant le mien, en poursuivant notre montée vers 10 000 mètres. J’avais réglé le débit du masque du petit chien sur 100% par sécurité. J’avais également trouvé une couverture de survie pour réchauffer la petite bête qui commençait à somnoler en grelottant. De temps en temps, je lui prenais le pouls, ça va, il tenait le coup. Huit heures après, nous nous posâmes à Creil, le chien était sauf et je dus payer ma tournée au bar de l’escadrille. Je jurais en moi-même qu’on ne m’y prendrait plus!
Le B17 n’était pas facile à piloter, surtout au décollage tant qu’il n’avait pas atteint sa vitesse d’envol.
Par vent de travers, c’était épique ! Le pilote, manche au ventre et dans le vent, jonglait avec le palonnier pour garder sa trajectoire de roulage pendant que le mécanicien-copilote dosait la richesse (mélange air-essence) et ajustait les gaz des 4 moteurs. Une fois la bonne vitesse atteinte, le pilote poussait le manche en avant pour lever la queue de l’avion. L’accélération était vraiment effective dès ce moment là et l’avion prenait rapidement son envol. Comme par enchantement, dès que les roues avaient quitté le sol, il régnait un calme paisible dans la cabine et le B17 montrait alors combien il était soumis et docile. Cela ressemblait au dressage d’un pur sang !
Au cours des vols en B17 ou en Hurel-Dubois, je poussai systématiquement le mécano-nav de leur siège, qu’ils s’agissent de NanNan, Steph ou Soch, pour prendre leur place lors des transits et les pilotes prenaient un malin plaisir à déconnecter le pilote automatique pour que je pilote l’avion « à la main » dans l’idée de me décourager. Effectivement, cela demandait une attention à toute épreuve, les commandes des gouvernes se faisant au moyen de câbles. Sur ces avions les commandes hydrauliques ou électriques n’existaient pas encore et pour maintenir la trajectoire de l’avion de 30 tonnes, à la main, c’était plutôt sportif. Les pilotes m’autorisaient à piloter ces avions à la seule condition que je sois aussi précis que le pilote automatique pour maintenir l’attitude de l’avion, lors de changement de caps par exemple.
Le premier B17 immatriculé F-BEEA, arrivé à Creil en 1947, fut aussi le dernier B17 en service à l’IGN.
Il fut détruit accidentellement en Angleterre en 1987, lors du tournage du film « Memphis Bell » après quarante années de service à travers le monde entier. Pour les besoins du film, un terrain en herbe, désaffecté depuis longtemps, avait été retenu. Malheureusement le sol n’avait pas été bien préparé et lors d’une scène du tournage, alors que l’avion avait dépassé la vitesse de décision qui l’obligeait à poursuivre le décollage, la roue gauche du train principal tomba dans une ornière et le train d’atterrissage gauche se rompit. Sous le choc violent, les réservoirs d’essence prirent feu instantanément. Heureusement tous les occupants purent sortir de la carcasse calcinée. Le pilote, notre ami « Speedy » compta alors le nombre des occupants et s’aperçut qu’il en manquait un, le mécanicien Marc. Il s’élança alors dans le brasier et vit le mécanicien qui se débattait pour se détacher ; l’une de ses jambes était cassée. Speedy, qui était haut comme trois pommes, réussit à extirper notre collègue et le sortit de l’avion en flammes. Tout l’équipage fut rescapé !
« Speedy » avait été leader, en son temps, de la patrouille de France sur l’avion à réaction de Marcel Dassault, le Mystère IV. Il vola ensuite sur le Super Mystère B2, premier avion supersonique français. C’était un plaisir de voler avec Speedy tellement il était humble, gentil, compétent et expérimenté. Lorsque moi-même je devins pilote, il me dit : « …Bébel, tu seras un bon pilote lorsque les gens monteront dans ton avion en toute confiance… ». Il fut aussi mon instructeur pilote pendant un temps et me fit un jour la réflexion suivante au cours d’un entrainement : « …Bébel, quand y a l’ feu, y a pas l’ feu… ». Cela voulait dire qu’il ne fallait jamais s’affoler lorsqu’on se retrouvait en situation dégradée. Il suffisait de prendre le temps de réfléchir vite et d’agir posément.
Lorsqu’il était pilote militaire, il dut même s’éjecter de son avion en flammes, c’est pour dire…
J’ai toujours gardé ses enseignements qui m’ont permis de faire une carrière de pilote tout à fait honorable par la suite.
En attendant de devenir pilote, j’abordai donc le milieu de l’Aviation Civile en étant tour à tour photographe Navigant, Opérateur scanner (thermographie) et Opérateur APR (relevés de profils de terrain pour la topographie).
Je volai alors sur nos fameux HD 34, le deuxième avion mythique de l’IGN…
Les Hurel-Dubois
Cet avion fut construit en 1956 par la société Hurel-Dubois, à la demande d’Air France pour assurer des vols en Afrique principalement. Il fallait un avion qui puisse décoller et atterrir sur des pistes courtes et en latérite. La construction de cet avion avait été confiée à la société Hurel-Dubois, spécialisée dans la fabrication de planeurs. Il en sorti un avion bimoteur à hélice de 20 tonnes, pouvant transporter cinquante passagers, sustenté par des ailes de planeur, un train d’atterrissage principal fixe, un train avant escamotable et décentré pour permettre l’utilisation du viseur de navigation dans toute son amplitude. Un ensemble haubané métallique pour renforcer les ailes à grand allongement (45 mètres d’envergure), le pénalisait tant la traînée induite était importante. Sa très grande envergure ne permettait pas d’entrer l’avion dans le hangar de maintenance autrement qu’en le tournant de 90°. On glissait alors un chariot roulant sous chaque roue du train d’atterrissage principal, puis on chargeait l’arrière de l’appareil avec des gueuses pour lui faire lever le nez avant de déplacer l’avion sur un rail de guidage.
Cet avion avait du mal à tenir en l’air en cas de panne d’un moteur et en conditions givrantes. En effet, les haubans offraient une très grande traînée et ils étaient la proie au givrage, donc à l’alourdissement de l’avion et à la dégradation du profil aérodynamique.
Notre ami « Speedy » s’était d’ailleurs fait une grande frayeur au retour d’une mission en Afrique du Nord, au passage des Pyrénées dans du très mauvais temps. Il avait eu une avarie sur l’un de ses deux moteurs, les ailes et les haubans étaient givrés et le seul moteur en fonction avait du mal à dégivrer la voilure de l’avion. Il dut son salut à une vallée dans laquelle il s’engouffra en descente vers la plaine du Lauragais pour se poser à Toulouse.
Cet avion n’eut pas le succès commercial escompté car, au même moment, la société Sud Aviation sortait la célèbre Caravelle. C’était un avion à réaction moyen courrier pressurisé pouvant transporter 120 passagers à 800 km/h. Y avait pas « photo », comme on pourrait dire vulgairement.
Le Hurel-Dubois semblait donc mort avant même de naître. La suite prouva que non.
Seulement neuf avions furent construits puisqu’ils étaient déjà sur la chaîne de production. Le premier fut proposé à l’Aéronavale et se crasha dans la baie de Rio au cours d’une campagne d’évaluation. Les huit autres furent cédés à l’IGN et intégrèrent progressivement la flotte du Service des Activités Aériennes de 1957 à 1959. Aucun de ces avions ne fut détruit par accident. Ils connurent même une très belle carrière à l’IGN. Par la polyvalence qu’il offrait et par son aptitude à se poser sur n’importe quel terrain, il fut utilisé pour la photogrammétrie à grande échelle, pour les vols « scientifiques » ou pour le transport des équipes de terrain et de leur matériel. Il œuvra ainsi sur tout le continent africain, au Moyen Orient, en Europe et même en Amérique du Sud. Un de ces appareils a même servi au rapatriement des familles des agents de l’IGN au moment de la guerre d’Algérie!
Comme pour le B17, l’équipage était constitué d’un Pilote-CdB, d’un mécanicien Navigant, d’un Navigateur et d’un Photographe Navigant. Là aussi le poste du Radio-Navigant n’était plus en service lorsque je volai sur cet avion. D’ailleurs le « Grillon » avait été détaché à Air France comme Radio pour assurer les lignes qui survolaient le territoire soviétique. Il rejoignit l’IGN quelques années plus tard et fut transformé en Navigateur.
Je me souviens d’une mission dans la vallée du Rhône. Les axes de prises de vues étaient orientés Nord-Sud et le mistral soufflait très fort. Lorsque nous volions au cap nord, les Citröen DS sur l’autoroute du Sud nous doublaient !
Pour le photographe cet avion présentait des avantages certains du fait de l’espace cargo qu’il offrait. A l’époque des appareils photo à plaques de verre, les chargeurs étaient disposés en file indienne le long de la cabine et un treuil coulissait le long d’une poutre métallique fixée au plafond, permettant ainsi la manutention de ces chargeurs à plaques. Les deux trappes photo étaient disposées à tribord, face à la petite porte d’accès, juste derrière le poste du Radio. L’utilisation simultanée de deux caméras permettait, par la suite, la prise de vues en Noir et Blanc pour la photogrammétrie et Couleur ou Infra Rouge Couleur pour la photo-interprétation, pour l’inventaire forestier par exemple. Côté bâbord, le photographe disposait d’une table de travail et de son intervallomètre qui commandait les caméras. Tout le long de l’avion, des prises d’oxygène permettaient au personnel de bord de se déplacer jusqu’au fond de l’appareil qui n’était pas pressurisé bien sûr. Enfin, à l’arrière de l’avion, côté bâbord, une grande porte cargo permettait le chargement du matériel photographique ou mécanique.
J’aimais bien l’odeur caractéristique de mélange d’huile, d’oxygène et d’essence que l’on humait sans plus y faire attention à bord de ces Hurel et B17.
Lorsque je volais sur ces avions, les caméras à plaques SOM-Poivilliers avaient été remplacées par des appareils photos à film de format 24×24 cm, de marque Wild et de types RC 8 (focale 152 mm), RC 9 (focale 88 mm) et RC 10. Les objectifs étaient interchangeables sur les RC 10. Selon la mission, on y adaptait une focale de 88 mm, de 152 mm, de 210 mm ou de 300 mm. Les longues focales permettaient les prises de vues dites « orthophotographies ».
Les chargeurs de ces caméras pouvaient recevoir des films de 60 mètres de long pour la couleur et l’infrarouge-couleur, et 76 mètres ou 120 mètres pour le noir et blanc. La couche sensible des films couleur et IRC était plus épaisse que celle des films Noir et Blanc et, de ce fait, la longueur des films était plus réduite. Les caméras possédaient un plateau à succion qui aspirait le film pour une planéité parfaite; ce plateau se plaçait au foyer avant chaque déclenchement. Le cycle de déclenchement variait en fonction de l’échelle de prise de vues et de la vitesse de l’avion, de 3 secondes à 3 minutes! Plus l’avion volait haut, plus la vitesse de défilement du terrain était lente, plus la cadence de prise de vues était lente aussi, ça va de soi.
Un chargeur à films de 120 mètres permettait la prise de 450 photos 24×24 cm et ne pesait plus que 14 kg alors qu’auparavant, un chargeur à plaques Poivilliers prenait 90 photos 18×18 cm et pesait 70 kg!
Au fond de la cabine du Hurel Dubois, nous disposions d’une chambre noire dans laquelle nous pouvions charger les films vierges et décharger les films impressionnés. De ce fait, nous partions en vol avec quelques chargeurs et surtout le plein de bobines vierges, de quoi tenir en l’air toute une journée!
Le B17 consommait 1000 litres d’essence Avgas (Aviation gasoline) à l’heure et le Hurel 600 litres/H. Ces avions étaient justifiés lorsqu’il s’agissait de transporter des appareils photo à plaques de verre, ils l’étaient beaucoup moins lorsque les films argentiques apparurent. La hausse constante du prix du pétrole fut bien sûr déterminante et l’on commença à envisager le remplacement progressif de ces avions.
Les Hurel-Dubois présentaient un grand intérêt pour des missions spécifiques tel que la magnétométrie ou la recherche atmosphérique. A la queue de l’appareil était installé un treuil électrique et au bout du câble d’acier était accrochée une « poupée » dans laquelle se trouvait le capteur. Arrivé sur le lieu de la mission de prospection, il suffisait de dérouler le treuil sur une centaine de mètres et d’effectuer les enregistrements à l’abri des turbulences de sillage de l’avion.
Le dernier Hurel servit à la recherche atmosphérique pour le compte de l’INAG avant qu’il ne soit cédé à une association de collectionneurs d’avions anciens basée à Etampes. Les enregistreurs de données atmosphériques étaient disposés dans des racks sur palettes à roulettes escamotables qu’on pouvait charger aisément à bord de l’avion par la porte cargo arrière. Ensuite il suffisait de les glisser et de les fixer sur des rails appropriés. Les capteurs étaient fixés un peu partout sur les flancs de la cellule, ou dans le nez de l’avion.
Le point commun à ces quatre types d’avion (LeO, Siebel, B17 et Hurel Dubois) était le nez vitré qui accueillait le poste du Navigateur.
Le rôle du Navigateur était prépondérant. C’est lui qui donnait les directives au pilote pour suivre une trajectoire précise, indispensable en photogrammétrie.
Aux débuts de « l’aéro-cartographie », dans les années 50, les territoires à couvrir (notamment en AOF, AEF, Pacifique et Indochine) étaient immenses.
A l’avant du B17, le large poste du Navigateur disposait, entre autre, d’une table sur laquelle celui-ci déroulait une grande feuille de papier. Il y dessinait des détails caractéristiques qu’il repérait au sol au fur et à mesure que l’avion poursuivait sa trajectoire rectiligne.
Pour suivre cette trajectoire, le Navigateur disposait d’un viseur au travers duquel il pouvait contrôler la dérive de l’avion. Il la communiquait alors au pilote pour que celui-ci effectue les corrections de cap nécessaires au maintien de la trajectoire. Pendant toute la durée de la prise de vues, on entendait dans les casques de l’équipage: « …un degré gauche, au cap, deux degrés droite, au cap, encore un degré droite, au cap… ». Entre deux corrections communiquées par le Navigateur, on se racontait des blagues.
Ce viseur de navigation permettait aussi d’effectuer des visées latérales obliques sous un angle bien précis pour matérialiser l’axe d’à côté qu’il était impératif de suivre simultanément au premier, afin de le retrouver après avoir fait demi-tour. Ainsi lorsque le Navigateur repérait un détail intéressant au sol, sur sa gauche ou sur sa droite, il le dessinait sur sa feuille afin de le retrouver lorsque l’avion avait viré de bord pour suivre l’axe de prise de vues suivant.
Ces repères étaient le plus souvent des dunes caractéristiques, des méandres de rivières, des bosquets d’arbres, des oasis, des tentes de bédouins etc… Au début du vol, la feuille était vierge, après dix heures de vol elle était renseignée d’innombrables graffitis! Le lendemain, l’avion retournait sur les lieux de pêche et reprenait le travail là où la veille il avait arrêté ses prises de vues. Lorsqu’on photographiait les zones désertiques ou celles des forêts équatoriales, le moindre repère au sol était primordial. Ils étaient plus faciles à identifier lorsque le soleil était rasant et que les ombres au sol étaient bien marquées, au lever et au coucher du soleil. Je le constatais rapidement au cours de mes missions en Egypte, en Libye ou en Arabie Saoudite ou au-dessus de la canopée guyanaise.
J’ai toujours vénéré les pilotes, « seuls maîtres à bord », admiré les Navigateurs qui m’impressionnaient par leur capacité à s’orienter dans les régions les plus inhospitalières, et j’ai toujours eu un profond respect pour les mécaniciens grâce à qui les avions volaient bien et en toute sécurité.
Le poste du Navigateur du B17 disposait également d’un astrodôme au plafond, sous forme d’une bulle en plexi, qui permettait d’y loger une petite tourelle sur laquelle on pouvait fixer un sextant. L’avion ainsi équipé pouvait se rendre au Pôle Nord ou traverser l’Atlantique de nuit, en mesurant des droites de hauteur d’astres et, au moyen de tables de calcul dites éphémérides, en calculant sa position.
Plus tard, on fixa une antenne Doppler sous le ventre du poste du Navigateur. Tous les avions, du B17 au Hurel, puis les Mystères 20, les Aérocommander et les Beechcraft furent équipés de Doppler de navigation qui donnaient instantanément la dérive et la vitesse-sol. Relié à un calculateur, le système Doppler indiquait une route à suivre.
Dans les années 50, Air France avait ouvert des lignes transatlantiques avec ses « Super Constellation », un avion majestueux à quatre moteurs en étoile à hélice. Ayant besoin de Navigateurs, la société recruta alors son personnel dans la Marine Marchande.
Mon ami Jean Joseph était alors Capitaine au long cours sur un cargo qui transportait, entre autres, des bananes de Conakry jusqu’au Havre. Il fut recruté par Air France et exerça comme Navigateur sur le Super Constellation. Plus tard, ces avions furent remplacés par les Boeing 707. Il fallut alors employer deux Navigateurs car ce nouvel avion, à réaction, volait deux fois plus vite que le Super Constellation. Lors de la première étape, l’un des Navigateurs était à la visée pendant que l’autre effectuait les calculs. A l’étape suivante, les deux Navigateurs inversaient leur rôle.
Puis apparurent les premières centrales à inertie et le métier de Navigateur disparut, du moins dans les compagnies aériennes. C’est ainsi que Jean Joseph fut recruté à l’IGN. C’est lui qui me donnait les cours de navigation et de météorologie lorsque je préparais ma licence de pilote de ligne dans les années 80….La navigation-astro telle qu’il me l’enseignait me passionnait.
Lorsque le B17 se posait après une journée harassante au-dessus du désert, une équipe au sol s’activait pour décharger les magasins à plaques afin de les développer dans un laboratoire de campagne. Pendant ce temps là, les mécaniciens procédaient à la maintenance de l’avion. Lorsque les photos étaient développées, elles étaient assemblées sur une grande table, sous forme de mosaïque, pour vérifier que les axes de prise de vues étaient bien alignés et que le recouvrement latéral était respecté. Le recouvrement longitudinal des photos, nécessaire à la vision stéréoscopique du terrain, était contrôlé par la même occasion.
Très souvent, lors d’une de ces grandes missions, du personnel local était embauché pour les besoins logistiques. Manœuvres pour charger et décharger le matériel, laver les avions ou les vêtements des équipages, cuisiniers pour la popote du camp de base etc… Je vous parle « des équipages » car à cette époque il était fréquent de trouver plusieurs avions de l’IGN basés au même endroit, souvent sur des aérodromes de fortune aménagés pour les circonstances.
Quatre B17 à Douala en 1954, quatre autres à Faya Largeau et à Gao en 1956, ou encore quatre autres à Zinder en 1958 et quatre autres avions B17 et LeO 455 en Indochine en 1952.
Les bords de piste étaient éclairés par des « goose neck » pour les atterrissages de nuit. Ils étaient disposés tous les cent mètres en quinconce de part et d’autre de la piste. C’étaient tout simplement des futs de pétrole qu’on enflammait en cas de besoin, juste le temps de l’atterrissage de l’avion.
Mon ami « Le Young » me racontait l’histoire d’un de ces B17 qui avait subi des avaries sur l’un de ses moteurs, à Bobo-Dioulasso au Burkina. Pour changer celui-ci, il avait fallu pousser l’avion sous un baobab à l’aide d’une trentaine de jeunes costauds du village. Une fois l’avion immobilisé, à l’aide d’un palan accroché à la plus grosse branche de cet arbre majestueux, le Young avait pu détacher l’hélice tripale puis, ensuite, le moteur qui pesait bien 800 kg! Ensuite il avait procédé à la réparation du moteur en l’ouvrant complètement, à l’ombre du même arbre. L’avion fut opérationnel deux jours après, le temps à l’équipage de prendre un peu de repos bien mérité.
A Creil, j’allais souvent rendre visite aux mécaniciens pour qu’ils me montrent les entrailles des avions qu’ils révisaient.
Près du hangar Sud, le plus éloigné des bâtiments des laboratoires et des bureaux, se trouvait le banc d’essai qui servait à effectuer les vérifications des performances et la vérification du bon fonctionnement des moteurs. Il s’agissait d’une cabine un peu insonorisée dans laquelle s’enfermait le mécanicien avec un casque de protection sur les oreilles. Le moteur à tester était fixé à l’extérieur de la cabine et ses organes électriques et mécaniques étaient reliés au tableau de bord de la cabine. Le mécanicien faisait tourner le moteur à plusieurs régimes et notait les paramètres sur un livret. A un km de là, on entendait encore le bruit du moteur. Vous pouvez imaginer ce que subissait le mécanicien! Mais le bruit et les vibrations reproduisaient bien certaines conditions de vol. Cela faisait un peu rêver.
Le vieillissement de ces avions B17 et Hurel-Dubois, l’amenuisement progressif du stock de pièces détachées, l’augmentation sans cesse du prix du pétrole et l’utilisation de films aériens à la place des plaques argentiques obligea l’IGN à reconsidérer sa flotte d’avions photographes.
Les premiers films aériens fournis par Kodak et Agfa Gevaert dans les années 60 ne donnaient pas satisfaction car leur support en tri-acétate était fragile. Il arrivait que les films se déchirent ou qu’ils bourrent dans le chargeur. De plus leur stabilité dimensionnelle était mauvaise, ce qui était un gros handicap pour les mesures photogrammétriques.
L’un de mes collègues photographe, Raymond Dersch, d’origine Alsacienne comme son nom l’indique, en fit les frais au cours d’un vol car subitement le film bourra dans sa caméra et se mit en accordéon avant de bloquer celle-ci. Depuis ce temps là, Raymond fut affublé du surnom de « Derschuren ».
En ce temps là, toutes les occasions étaient bonnes pour rigoler. Peut-être parce que l’on était jeune…
Puis apparurent enfin les films Kodak sur support polyester. Ce film indéchirable présentait une très bonne stabilité dimensionnelle quelles que soient les conditions de température et d’hygrométrie… »
Ainsi s’achève cette première partie, qui appelle une suite bien sûr… Elle est déjà prête, vous la trouverez très bientôt en ligne sur le site…
Merci à Monsieur Michel Bélikian qui a bien voulu partager les mémoires de sa carrière de photographe navigant passionné…